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Dans l’histoire contemporaine, il existe un phénomène récurrent et troublant : des régimes autoritaires récupèrent après leur mort des écrivains, cinéastes, philosophes ou artistes qu’ils ont ignorés, étouffés, parfois persécutés de leur vivant. Ces grandes figures deviennent, post-mortem, des symboles instrumentalisés au service du récit nationaliste ou idéologique de ces régimes, alors même qu’elles incarnaient souvent l’antithèse des valeurs et pratiques du pouvoir en place.
Voici un voyage à travers plusieurs pays et époques où l’on retrouve ce scénario paradoxal.
🇷🇺 Russie : l’héritage détourné de Tolstoï et Soljenitsyne
En Russie, Léon Tolstoï, auteur de Guerre et Paix et de Résurrection, fut excommunié par l’Église orthodoxe, surveillé de près par le tsarisme, et critiqué pour son pacifisme, son rejet de la violence et ses idées anarchistes chrétiennes. Aujourd’hui, son image est largement récupérée par l’État russe, qui le présente comme un génie national, sans rappeler que ses idées contredisaient frontalement l’autoritarisme, le militarisme et l’État centralisé.
Même Alexandre Soljenitsyne, l’auteur de L’Archipel du Goulag, qui a révélé l’ampleur des camps staliniens, est parfois récupéré aujourd’hui dans une Russie nostalgique de la puissance soviétique, où l’on fait mine d’honorer l’écrivain, tout en minimisant l’héritage critique qu’il portait contre la machine totalitaire.
🇩🇪 Allemagne nazie : Nietzsche et Goethe déformés
Friedrich Nietzsche est un exemple célèbre. Philosophe de la critique des valeurs, du dépassement de soi et du soupçon vis-à-vis des dogmes, il fut récupéré par le régime nazi comme une figure proto-nationaliste et guerrière. Pourtant, Nietzsche méprisait l’antisémitisme et le pangermanisme, et détestait l’idéologie étroite. Sa sœur, Elisabeth Förster-Nietzsche, acquise à l’extrême droite, a contribué à éditer et trahir ses textes après sa mort pour les aligner sur l’idéologie nazie.
Même Goethe, poète de l’humanisme, de la quête intérieure, de l’universalisme, fut brandi par le régime nazi comme symbole d’un génie allemand atemporel, alors que sa pensée transcende les frontières nationales et exalte l’individu contre l’enfermement idéologique. Là encore, la mémoire est manipulée, simplifiée, et arrachée à ses véritables racines.
🇧🇷 Brésil des colonels : Chico Buarque et la musique muselée
Sous la dictature militaire brésilienne (1964-1985), des artistes comme Chico Buarque, Gilberto Gil et Caetano Veloso ont subi la censure, l’exil, les pressions. Pourtant, une fois les années noires passées, certains militaires et figures autoritaires de la politique brésilienne ont tenté de récupérer le patrimoine musical de la bossa nova et du tropicalisme comme des emblèmes de la “brasilianité”, gommant le fait qu’ils avaient, à l’époque, combattu ces voix dissidentes.
🇨🇳 Chine contemporaine : l’ombre de Liu Xiaobo
Prix Nobel de la paix, écrivain, dissident et militant pour les droits de l’homme, Liu Xiaobo est mort en 2017, emprisonné et privé de liberté jusqu’au bout. Après sa mort, alors même que le régime chinois continue de censurer son nom et ses écrits, il est paradoxalement entré dans une forme de mythologie, où certains responsables chinois essaient d’intégrer son existence dans un récit “harmonieux” de l’évolution politique du pays, tout en réprimant ceux qui osent encore parler de son héritage.
🇩🇿 Algérie : Mohamed Lakhdar-Hamina, Palme d’or bloquée
Le cas le plus récent et frappant est celui du cinéaste algérien Mohamed Lakhdar-Hamina, décédé le 23 mai 2025. Réalisateur de Chronique des années de braise, Palme d’or au Festival de Cannes en 1975, il a porté à l’écran une vision nuancée et humaine de la révolte algérienne, parlant non seulement du combat contre le colonisateur, mais aussi de la condition humaine, de la justice, du pardon, de la réconciliation.
Lui-même l’avait exprimé clairement :
« Avec ce film, j'avais eu envie d'expliquer pour la première fois comment est arrivée la guerre d'Algérie. Cette révolte, qui est devenue la révolution algérienne, est non seulement contre le colonisateur, mais aussi contre la condition de l'homme. »
Mohamed Lakhdar-Hamina a su établir un véritable pont culturel entre le Sud et l'Occident, devenant ainsi la voix du tiers monde et de son pays pendant près de quarante ans, écrit encore sa famille. Pourtant, de son vivant, il a vu ses projets freinés, ses œuvres bloquées, son influence marginalisée par un régime qui redoutait sa liberté de ton. Ironie tragique : il est mort cinquante ans jour pour jour après sa Palme d'or, à la fin d’une projection en hommage à cet événement historique au Festival de Cannes. Son fils Malik, présent sur place, a déclaré :
« À travers ce film, Mohamed Lakhdar-Hamina a tendu la main pour rassembler et non diviser. Il a fait du cinéma une terre d'accueil. »
Un destin homérique, digne des tragédies antiques et de la tension humaine si chère à Goethe comme à Nietzsche : l’individu lucide, créateur, universel, confronté à des forces collectives qui cherchent à réduire, instrumentaliser, capturer son héritage.
Une mémoire à défendre
Ces exemples révèlent une constante : les régimes autoritaires ont besoin de légitimité culturelle et historique. Ils n’hésitent pas à se parer de l’aura des grands noms, quitte à trahir leur message, quitte à étouffer ce qu’ils dénonçaient de leur vivant. C’est pourquoi il est essentiel, aujourd’hui, de rappeler sans relâche non seulement les œuvres de ces figures majeures, mais aussi les combats, les obstacles et les injustices qu’elles ont subis, pour que leur mémoire reste vivante et fidèle à leur véritable message.
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