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La Justice Subordonnée aux Rapports de Force

Oct 1, 2024

Temps de lecture : 4 min

Depuis l’avènement de l’Homo sapiens, l’histoire humaine montre que la justice et la morale n’ont jamais véritablement constitué une norme de fonctionnement universelle. Au contraire, ces valeurs sont restées des idéaux, rarement concrétisés dans les sociétés humaines. En réalité, la loi du plus fort, du plus riche, du plus violent, du plus armé, ou du plus productif a toujours dominé les rapports de pouvoir. Les civilisations, depuis les premiers empires jusqu’aux sociétés modernes, ont été bâties sur des rapports de force où le pouvoir, dans ses diverses formes, définissait les relations entre les individus et les nations.


La pyramide du pouvoir : force, politique et droit

Cette pyramide du pouvoir place la force brute au sommet. La force ne se limite pas à la violence physique ; elle inclut la capacité économique, militaire, ou encore démographique. Elle forme la base de toute domination et de tout rapport de force. Ceux qui contrôlent cette force imposent les règles du jeu. Juste en dessous, nous trouvons la politique, qui consiste à organiser, gérer et exploiter ces rapports de force pour maintenir ou redistribuer le pouvoir. Enfin, au bas de la pyramide, se trouve le droit, qui en théorie devrait servir de régulateur pour instaurer la justice. Cependant, dans la plupart des cas, le droit est façonné par les puissants pour servir leurs intérêts, codifiant les inégalités et légitimant la domination en place. Le droit est alors plus un instrument de régulation que de justice universelle, car il est biaisé en faveur des plus forts.

La justice, qui repose en grande partie sur des principes moraux, n’est souvent qu’un idéal lointain dans cette structure. Lorsqu’elle est atteinte, elle l’est de manière fragmentaire et circonstancielle. Ainsi, les appels à la justice ou à la moralité sont légitimes, mais rarement suffisants pour changer fondamentalement les rapports de force. Le véritable changement se produit lorsque les acteurs parviennent à modifier ces rapports en leur faveur, que ce soit par la violence, la stratégie, ou une réorganisation politique.


S’indigner ou agir : comprendre et modifier les rapports de force

Il est donc légitime de s’indigner face à l’injustice, car cette aspiration à la justice repose sur des valeurs humaines profondes. Toutefois, l’indignation seule ne suffit pas à changer la réalité des rapports de force. L’histoire a montré que ceux qui ont réussi à améliorer leur situation ne l’ont pas fait uniquement en invoquant la justice ou la morale, mais en modifiant les rapports de force en leur faveur. Pour obtenir une situation plus juste, il est souvent nécessaire de devenir politiquement plus pertinent, économiquement plus puissant, et de savoir manipuler les leviers du pouvoir.


Exemples de réussites et d’échecs

L’Apartheid en Afrique du Sud est un exemple de réussite dans la lutte contre une injustice flagrante. Pendant des décennies, la minorité blanche a maintenu sa domination sur la majorité noire grâce à la force économique et militaire. Pourtant, à travers des décennies de luttes, de boycotts internationaux, et de pressions politiques internes, les rapports de force ont progressivement changé, permettant à Nelson Mandela et à ses partisans d’obtenir une victoire non seulement morale, mais aussi politique.


De la même manière, la décolonisation de l’Inde sous la direction de Gandhi est un exemple frappant où la non-violence, combinée à une pression politique et internationale croissante, a permis de renverser la domination coloniale britannique. Gandhi a su mobiliser les masses et exploiter les failles dans les rapports de force entre l’Empire britannique et le peuple indien.


En Algérie, la guerre d’indépendance a montré que même contre une puissance militaire supérieure, la détermination politique et l’organisation d’une lutte armée peuvent changer les rapports de force. Après une guerre sanglante, la France a dû se résoudre à accorder l’indépendance à l’Algérie.


À l’inverse, la situation palestinienne est un exemple tragique où les rapports de force ne se sont jamais suffisamment équilibrés pour permettre une résolution juste du conflit. La supériorité militaire israélienne, combinée à un soutien international fort, a maintenu un statu quo où la justice morale n’a pas pu prévaloir sur la réalité des rapports de force.


De même, les Amérindiens ont subi la loi du plus fort pendant la colonisation des Amériques. Malgré leur résistance, ils n’ont jamais pu renverser les rapports de force face à la puissance militaire et économique des colons européens. Leurs luttes pour la justice et les droits ont été systématiquement écrasées, et ils ont été marginalisés dans des réserves, sans pouvoir véritable de négociation.


Conclusion

L’histoire montre que la justice n’est pas un état naturel des sociétés humaines, mais un idéal à atteindre, souvent contre des rapports de force inéquitables. S’indigner face aux injustices est un premier pas nécessaire, mais pour transformer cette indignation en changement concret, il faut comprendre et influencer les dynamiques de pouvoir. Les exemples historiques de réussites, tout comme les échecs, démontrent que ceux qui ont su modifier les rapports de force, que ce soit par la lutte armée, la diplomatie, ou la mobilisation sociale, ont eu plus de succès à rapprocher leurs sociétés de cet idéal de justice.

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