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Introduction – Comprendre la « raison paramagique »
Dans La raison paramagique : sous-développement et mentalités, le Dr Khaled Benmiloud, psychiatre algérien, identifie un frein profond au développement : un mode de pensée qu’il qualifie de raison paramagique. Il ne s’agit pas d’irrationalité pure, mais d’une logique symbolique interne, fondée sur des croyances morales ou religieuses, où la causalité est souvent attribuée à des forces extérieures (divines, mystiques, sociales), excluant le doute, l’expérimentation et la responsabilité historique individuelle.
Le Professeur Benmiloud avance que le sous-développement est en partie produit par ce mode de pensée, et que seule une réforme morale et cognitive profonde, préalable à toute réforme économique ou technique, peut permettre aux sociétés concernées d’en sortir.
Mais alors, comment expliquer le succès de nations comme le Japon ou la Corée du Sud, dont les structures mentales traditionnelles sont fortement imprégnées de croyances non empiriques (shintoïsme, bouddhisme, confucianisme) ? C’est là qu’une lecture plus fine s’impose.
Le Japon et la Corée du Sud : des traditions fortes, un développement fulgurant
1. Des croyances non inhibitrices de l’action
Le Japon et la Corée ont certes fonctionné dans un cadre religieux et philosophique très marqué par le shintoïsme, le bouddhisme zen, et le confucianisme. Ces croyances reposent peu sur des démonstrations scientifiques et beaucoup sur des rituels symboliques, l’ordre cosmique, le respect des ancêtres, et l’harmonie.
Mais contrairement à ce que désigne le Professeur Benmiloud par « raison paramagique », ces croyances :
n’ont jamais nié l’effort humain ou la responsabilité individuelle,
intègrent la notion d’impermanence (mujo) qui encourage l’adaptation au changement,
et valorisent l’action concrète, l’apprentissage artisanal, l’humilité et le travail collectif.
Exemple japonais : le shintoïsme accepte l’innovation technique comme prolongement naturel de la relation harmonieuse entre l’humain et la nature. D’où l’acceptation rapide de l’électricité, des chemins de fer ou de l’électronique au XIXe et XXe siècle.
Exemple coréen : le néo-confucianisme coréen, tout en étant hiérarchique, promeut l’étude, la méritocratie et le rôle moral du lettré. Après la guerre de Corée, cette tradition a été réinvestie dans une culture scolaire extrêmement compétitive, moteur du miracle économique sud-coréen.
2. Rupture volontaire et pilotée avec certains blocages mentaux
L’État japonais, dès l’ère Meiji (1868), a sciemment orchestré une rupture mentale et symbolique, par des réformes radicales :
En envoyant des jeunes élites se former à l’étranger,
En supprimant des croyances délétères comme le fatalisme paysan,
En remplaçant la soumission au destin par le culte de l’amélioration continue (kaizen),
En introduisant une morale civique fondée sur la responsabilité, non sur le miracle.
Cela rejoint une des thèses fortes du Professeur Benmiloud: « Le changement ne vient pas de l’extérieur, ni de l’économie seule, mais d’un retournement de la représentation que l’individu se fait de lui-même dans la société. »
Contre-exemples : quand la raison paramagique bloque le progrès
1. L’Algérie ou l’Égypte contemporaine
Malgré d’immenses ressources humaines et naturelles, certains pays du Maghreb et du Machrek restent freinés par une mentalité où :
L’échec est attribué au maktoûb (destin),
La réussite individuelle suscite la suspicion ou l’envie (et non l’émulation),
La science est valorisée dans le discours, mais pas dans la pratique quotidienne,
Les réformes sont vécues comme des « attaques contre l’identité ».
Le Professeur Benmiloud parle ici d’immunité culturelle au doute et de logique circulaire. On invoque des causes surnaturelles à des problèmes concrets (corruption, échec scolaire, absence d’innovation) plutôt que d’en chercher les causes structurelles.
2. L’Afrique subsaharienne et le pouvoir symbolique
Dans de nombreuses sociétés où les systèmes de croyance traditionnels restent structurants, les forces invisibles (sorcellerie, esprit des ancêtres, malédiction familiale) ont parfois plus de poids explicatif que les lois de l’économie ou de la biologie.
Cela produit, selon le Professeur Benmiloud, une société où « l’on subit le monde au lieu de le transformer ».
Feuille de route pour contourner la raison paramagique
Le Professeur Benmiloud insiste : ce n’est pas la religion en soi qui est un frein, mais l’absence de dissociation entre croyance symbolique et causalité rationnelle.
Étapes concrètes :
1. Éducation morale fondée sur le doute et la responsabilité
Introduire à l’école une culture du questionnement, du débat, de la contradiction.
Valoriser les figures locales d’entrepreneurs, scientifiques, réformateurs.
Enseigner l’histoire avec un accent sur les ruptures positives et les réformes endogènes.
2. Créer des récits héroïques ancrés dans l’action
Il faut, selon le Professeur Benmiloud, des « mythes fondateurs du progrès » : l’équivalent local du « samouraï modernisateur » ou du lettré coréen entrepreneur.
Valoriser la dignité dans l’effort, pas dans le statut hérité ou religieux.
3. Faire émerger une élite intermédiaire réformiste
Les grandes réformes ne viennent pas d’en haut (tyrannie éclairée) ni d’en bas (révoltes populaires), mais d’une classe moyenne éclairée qui croit en l’apprentissage collectif.
4. Exiger des preuves locales de succès
Ne pas singer les modèles étrangers, mais identifier des micro-sociétés locales (villages, entreprises, écoles) où une logique rationnelle produit des résultats visibles.
5. Décloisonner la croyance religieuse de la gestion publique
La foi personnelle ne doit pas structurer l’organisation des services publics, de l’économie ou de l’école. C’est la condition de la modernisation sans rupture identitaire violente.
Conclusion
La raison paramagique, telle que décrite par le Dr. Khaled Benmiloud, n’est pas une fatalité. Elle peut être contournée, non en écrasant les croyances locales, mais en redéfinissant leur place dans l’espace public, et en installant, comme en Asie orientale, une culture parallèle du doute, de la preuve et de la responsabilité.
Le Japon et la Corée n’ont pas aboli leurs traditions : ils les ont domestiquées, intégrées à un récit modernisateur. C’est cette alchimie entre identité, morale civique et rationalité instrumentale que les sociétés en développement doivent inventer à leur tour.