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Camus versus Qamis

Oct 22

Temps de lecture : 3 min

Porter un qamis dans l’intimité de sa spiritualité est un geste respectable, presque poétique : un vêtement simple, blanc, apaisant, comme une peau spirituelle que l’on enfile pour prier, méditer, se retrouver. Mais lorsqu’il devient un costume identitaire dans des sociétés où il n’a pas de signification culturelle, il cesse d’être une expression personnelle et devient un symbole d’alignement. Il se transforme en signe d’appartenance, parfois en revendication, voire en refuge contre l’angoisse du vide intérieur. C’est là que l’ombre de l’« inexistentialisme » commence : non plus choisir d’exister par soi-même, mais s’abandonner à un mouvement qui pense à sa place.


Albert Camus aurait sans doute vu dans cette attitude l’antithèse de la liberté intérieure. Lui qui écrivait que « le seul moyen de faire face à un monde non libre, c’est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion » (Carnets), aurait perçu dans le port ostentatoire du qamis – lorsqu’il est signe d’idéologie et non de foi intime – une forme de fuite devant la liberté, une abdication devant l’absurde.


Car l’inexistentialisme, c’est cela : se dissoudre dans un cadre dogmatique qui offre une béquille identitaire, un sens tout fait, au lieu de se confronter à la responsabilité de construire le sien. Camus, dans Le Mythe de Sisyphe, décrit l’homme absurde comme celui qui, refusant les illusions métaphysiques, choisit malgré tout de vivre pleinement. Celui qui porte le qamis pour se donner une essence, pour combler un vide, tombe dans le piège du contraire : il laisse le dogme lui dicter ce qu’il est, au lieu de le nourrir de l’intérieur.


Il ne s’agit pas ici d’une critique du religieux, mais de son instrumentalisation. Le dogme, quand il reste à sa place – celle d’un cadre moral et spirituel choisi librement – peut être un plus à l’existence. Il apaise, structure, inspire. Mais lorsque ses artifices deviennent des uniformes de conformité, il trahit son essence. Camus l’aurait dit autrement : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Ici, mal nommer le religieux, c’est en faire un spectacle, un drapeau, alors qu’il devrait rester un dialogue silencieux entre l’homme et son mystère.


L’analyse doit donc dépasser les discours faciles sur la « non-intégration » ou la « guerre de civilisation ». Ce ne sont pas des vêtements qui menacent la cohésion, mais la pensée qui s’y réfugie. Le qamis peut être un vêtement spirituel, ou un symbole d’aliénation : tout dépend de la conscience qui le porte.


De même, le terrorisme n’est pas l’expression d’une foi, mais la pathologie d’âmes en rupture, de consciences dévastées par l’injustice et la haine. Y voir une guerre de civilisations, c’est tomber dans le piège de la simplification, celle-là même que Camus refusait. Dans L’Homme révolté, il écrivait : « Je me révolte, donc nous sommes. » La révolte, chez lui, n’est jamais une haine : c’est un éveil lucide contre l’absurde, pas une destruction. Le terrorisme, lui, n’est pas révolte mais nihilisme.


Ainsi, Camus versus Qamis n’oppose pas l’Occident à l’Orient, mais la liberté à la soumission, la lucidité à la résignation. Porter un qamis par choix spirituel, c’est un acte d’identité intérieure. Le porter comme drapeau, c’est se livrer à une pensée collective qui étouffe le moi.


Camus aurait sans doute invité chacun à retrouver la nudité essentielle de l’homme libre, celle qui précède les uniformes et les symboles : « Je ne crois pas en Dieu et je ne suis pas athée. » disait-il. Cette phrase, en apparence paradoxale, dit tout : refuser les cadres étroits pour rester fidèle à l’expérience humaine, fragile, mais vraie.

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