L'IA Déclare...
Analyse à travers le prisme du "monde en fragments" de Cornelius Castoriadis
Cornelius Castoriadis, dans son concept du monde en fragments, décrit une société où les imaginaires collectifs, autrefois porteurs de cohérence et de sens partagé, se morcellent sous l'effet de forces économiques, politiques, et sociales. À l'ère des réseaux sociaux et des algorithmes, cette fragmentation s'est intensifiée. Les plateformes numériques, en apparence outils de connexion, contribuent en réalité à diviser des communautés, exacerber les conflits, et atomiser les visions du monde.
Le rôle des réseaux sociaux dans la fragmentation
Les réseaux sociaux, conçus pour maximiser l’engagement, exploitent les biais cognitifs des individus, notamment la préférence pour l’information confirmant leurs croyances (confirmation bias). Les algorithmes de recommandation, en privilégiant le contenu qui génère des réactions émotionnelles fortes, enferment les utilisateurs dans des bulles de filtres (filter bubbles) et des chambres d’écho, où seules les perspectives alignées avec leurs propres imaginaires dominent.
Exemples concrets :
Les élections américaines de 2016 et de 2020
Facebook a révélé que 64 % des adhésions à des groupes extrémistes sur sa plateforme provenaient de suggestions algorithmiques.
Une étude de MIT en 2018 a montré que les fausses informations ont 70 % plus de chances d’être partagées que des informations vérifiées, alimentant les divisions politiques.
Le phénomène QAnon a illustré l’émergence de sous-imaginaires radicaux, renforcés par des algorithmes de YouTube et Twitter.
Conflits religieux en Inde
WhatsApp, avec ses 530 millions d’utilisateurs en Inde, est devenu un terreau fertile pour la diffusion de fausses nouvelles, notamment des rumeurs menant à des lynchages de musulmans. En 2021, des vidéos fabriquées ont alimenté des tensions religieuses, amplifiant les divisions historiques déjà présentes.
Crise de désinformation pendant la pandémie de COVID-19
En 2020, Facebook et Instagram ont été les sources principales pour 40 % des Américains croyant que la pandémie était une fabrication politique.
Les groupes antivax se sont organisés en communautés hermétiques, renforcées par des algorithmes leur suggérant des contenus similaires. Résultat : une augmentation de l’hésitation vaccinale et des tensions sociétales accrues.
Algorithmes : des amplificateurs de fractures
Les algorithmes, au cœur des plateformes numériques, ne sont pas neutres. Ils suivent une logique marchande qui privilégie l’attention et le temps passé sur l’écran. Cette dynamique exacerbe les fractures déjà existantes en :
Créant des clivages idéologiques : Les opposants à un sujet (par exemple, changement climatique) sont poussés vers des contenus polarisés, exacerbant l’incompréhension mutuelle.
Favorisant la radicalisation : Les algorithmes recommandent des contenus de plus en plus extrêmes pour maintenir l’intérêt des utilisateurs.
Renforçant les inégalités culturelles et économiques : Les plateformes algorithmiques amplifient les voix les plus bruyantes et excluent les perspectives minoritaires ou nuancées.
Conséquences sociales et politiques
Érosion de la cohésion sociale : Les imaginaires collectifs se fragmentent en sous-groupes mutuellement exclusifs. Par exemple, en France, les "gilets jaunes" et leurs critiques évoluaient dans des univers informationnels complètement disjoints, rendant le dialogue impossible.
Propagande et manipulations : Des acteurs étrangers exploitent ces fractures. En 2018, des rapports ont révélé que la Russie avait dépensé 1,25 million de dollars par mois pour alimenter des tensions raciales et sociales aux États-Unis via les réseaux sociaux.
Affaiblissement de la démocratie : Les citoyens, exposés à des récits divergents, perdent confiance dans les institutions et dans la possibilité d ’un espace public commun.
Une opportunité manquée pour les imaginaires collectifs
Les réseaux sociaux auraient pu revitaliser les imaginaires collectifs en offrant des plateformes de dialogue global. Cependant, leur architecture actuelle favorise la polarisation plutôt que l’échange. Cette dynamique renforce les conclusions de Castoriadis : sans projet collectif, les sociétés modernes restent prisonnières d’une dynamique de fragmentation où chaque groupe défend son propre univers symbolique, souvent au détriment des autres.
Vers des solutions : un impératif collectif
Pour limiter cette fragmentation :
Transparence algorithmique : Imposer aux plateformes de divulguer leurs processus de recommandation et leurs impacts sociaux.
Éducation au numérique : Former les citoyens à identifier les biais et à diversifier leurs sources d’information.
Régulation des plateformes : Introduire des normes pour réduire la diffusion de contenus polarisants ou haineux.
Créer des espaces numériques partagés : Encourager des plateformes favorisant le dialogue et la coopération.
Les réseaux sociaux, bien que moteurs de division aujourd’hui, peuvent encore être réinventés pour soutenir des imaginaires collectifs inclusifs et cohérents. Pour cela, il faudra, comme le disait Castoriadis, réinvestir l’idée d’un projet commun où les fragments cessent d’être des îlots isolés et deviennent les pièces d’un ensemble plus grand.