top of page

Le patriotisme à deux balles

Jul 27

Temps de lecture : 4 min

À l'heure où les réseaux sociaux débordent de drapeaux brandis à coups d'émojis, de déclarations viriles sur la "pureté" d'une nation et de slogans tapageurs criés plus qu'ils ne sont pensés, il est urgent de redonner au mot patriotisme sa véritable dignité. Car il y a un monde entre aimer profondément son pays — avec ses valeurs, son histoire, ses contradictions — et le transformer en fétiche identitaire, fermé sur lui-même, sourd aux autres, et parfois même à lui-même.


Le patriotisme n’est pas un cri, c’est une conduite

Le vrai patriotisme ne se résume ni à des envolées guerrières, ni à des slogans faciles. Il consiste à vivre les valeurs profondes d’une nation, à les incarner, à les faire vivre dans le monde. Il suppose d’assumer l’histoire dans toute sa complexité, sans l’idéaliser, sans la déformer. Le véritable patriote ne cherche pas à exclure, il cherche à élever.


Milan Kundera l’avait parfaitement saisi lorsqu’il écrivait :

« La France n’est pas seulement un pays, c’est un rêve de civilisation. »

Un rêve, pas une essence figée. Une ambition morale. La France s’est pensée comme patrie des droits de l’homme, du débat, de la raison éclairée. Être patriote en France, c’est croire dans la capacité de l’universel, de l’émancipation, de l’hospitalité à enrichir la nation. Ce n’est pas s’accrocher à une idée illusoire d’une France "de souche", enfermée dans un passé fantasmé.


Slogans "à deux balles" vs valeurs fondamentales

Regardons autour de nous. Partout, des slogans nationalistes veulent remplacer les idéaux par de simples postures :

  • USA – "Make America Great Again" (MAGA) : une nostalgie floue d’une grandeur passée, souvent utilisée pour justifier le repli, l’hostilité à l’autre, voire le mensonge.

  • Italie – "Forza Italia" : vidé de contenu par des décennies d’usage politique opportuniste, le slogan cache mal l’érosion d’un idéal italien fondé sur la beauté, l’harmonie, la culture humaniste.

  • France – "La France aux Français" : slogan xénophobe qui trahit la tradition universaliste du pays des Lumières.

  • Angleterre – "Take back control" (Brexit) : au lieu de retrouver une souveraineté éclairée, l’Angleterre a surtout perdu un projet européen de coopération et d’ouverture.

  • Russie – "Russkiy Mir" (le monde russe) : un slogan justifiant l’expansionnisme au nom d’une prétendue continuité civilisationnelle, au mépris du droit international.

  • Algérie – "Un seul héros, le peuple" : slogan magnifique, mais souvent vidé de sens quand l’unité du peuple est invoquée pour museler les critiques et dissimuler les divisions.


L’amour du pays, c’est aimer ce qu’il a de meilleur

Être patriote, c’est incarner les plus hautes valeurs de son pays, même (surtout) quand elles sont trahies.

  • La France, c’est l’héritage de Voltaire, Hugo, Simone Weil. C’est l’idée que la liberté, l’égalité, la fraternité sont à bâtir chaque jour, pour tous.

  • L’Algérie, c’est la fidélité à la parole donnée, à l’hospitalité sacrée, au partage. Un peuple qui a combattu pour sa dignité ne peut trahir sa générosité.

  • L’Italie, ce n’est pas seulement une équipe de foot ou un parti politique. C’est la beauté du geste, la richesse de la culture, le goût de la vie et de l’artisanat humain.

  • Les États-Unis, malgré leurs contradictions, ont été fondés sur une promesse : que chacun ait sa chance, indépendamment de sa naissance. C’est cela qu’il faut sauver, pas le fantasme d’une grandeur blanche, masculine et régressive.

  • L’Angleterre, c’est une tradition de parlementarisme, de fair-play, de modération politique. Ce n’est pas l’hostilité paranoïaque aux étrangers.

  • La Russie, c’est Dostoïevski, Tolstoï, l’âme tourmentée mais vaste. Pas une logique impériale revancharde.


Mais pourquoi tant de gens tombent-ils dans ce patriotisme à deux balles ? Bien souvent, ce sont des egos dysfonctionnels en quête de validation, d’appartenance, de valeur personnelle. Le slogan devient alors un bouclier narcissique, une illusion de puissance, une manière d’échapper à l’insécurité intérieure. Dans les cas les plus graves, ces dynamiques sont instrumentalisées par des leaders mondiaux aux profils cliniquement inquiétants : des sociopathes comme Donald Trump ou des psychopathes comme Vladimir Poutine. Ni l’un ni l’autre ne portent de véritable idéologie ; ils se servent du nationalisme comme d’un outil de pouvoir personnel. Trump cherche avant tout à nourrir son culte de la personnalité, tandis que Poutine rêve d’entrer dans l’Histoire comme le grand chef ayant ressuscité l’Empire soviétique. Mais derrière les postures, ce sont des peuples entiers qu’ils sacrifient : misère économique, morts dans les tranchées, fracture sociale — peu leur importe, tant que leur ego monstrueux continue de se nourrir. Ce n’est pas du patriotisme, c’est de l’instrumentalisation cynique du peuple.


Ce qu’il reste quand le slogan se tait

Le patriotisme à deux balles cherche toujours un ennemi intérieur : l’immigré, le traître, l’intellectuel, l’étranger, le jeune qui parle verlan, la femme libre. Il réduit la nation à un clan.

À l’opposé, le patriotisme véritable est une fidélité active à des principes, pas à une pureté. Il se prouve non dans les discours enflammés, mais dans le travail, l’écoute, la critique loyale, l’exigence de justice.


Conclusion : Redonner sens au mot "patrie"

La patrie, ce n’est pas une forteresse. C’est un foyer, une promesse, un chemin. Et le véritable patriote est celui qui regarde son pays en face — avec lucidité, tendresse et exigence — et s’efforce d’en faire un lieu plus juste, plus digne, plus ouvert. Tout le reste n’est qu’un patriotisme à deux balles. Et les nations valent mieux que ça.

bottom of page