L'IA Déclare...
L’Algérie a toujours entretenu une relation complexe avec ses intellectuels. De l’engagement intransigeant aux ruptures brutales, nombre d’écrivains algériens ont vu leur trajectoire les mener à une aliénation progressive vis-à-vis de leur pays et de leur peuple. Parmi eux, Kamel Daoud et Boualem Sansal apparaissent comme les figures les plus emblématiques de cette ultime étape, celle du renoncement quasi-définitif à un ancrage national. Leur critique sans concession de la société algérienne et des fondements du nationalisme post-indépendance leur a valu une marginalisation qui va au-delà de la simple controverse intellectuelle.
L’écrivain et la nation : une relation tourmentée
L’idée que la remise en cause doit commencer par le nationalisme lui-même est au cœur de la démarche de ces écrivains. Pour Daoud et Sansal, la critique de l’Histoire officielle, des mythes fondateurs et des tabous sociopolitiques est une condition nécessaire à la renaissance d’une Algérie libre et moderne. Or, cette posture ne les a pas seulement opposés aux cercles conservateurs ou au pouvoir en place. Même les Algériens les plus progressistes, ceux qui, en Algérie ou en exil, continuent d’espérer une transformation de leur pays, perçoivent chez ces auteurs une radicalité qui les place en rupture totale avec la nation elle-même.
L’alienation intellectuelle n’est pas qu’une question de censure ou d’opposition politique. Elle réside aussi dans ce sentiment profond d’exil intérieur que beaucoup d’Algériens ressentent déjà au sein de leur propre pays. Pour eux, les critiques de Daoud et Sansal ne sont pas perçues comme des tentatives de libération, mais comme une destruction supplémentaire de cette dernière branche qui maintient un lien fragile avec une identité nationale déjà fragmentée.
Malek Haddad et le refus d’écrire : un autre type d’exil
Avant eux, Malek Haddad avait exprimé ce déchirement de manière différente. Né en 1927 à Constantine, il est l’un des premiers écrivains algériens de langue française à s’interroger sur la place de l’intellectuel dans la nation post-coloniale. Après l’indépendance, il prend une décision radicale : renoncer à l’écriture, refusant de continuer à s’exprimer dans une langue qui n’était pas celle du peuple algérien. Son exil fut intérieur, silencieux, mais non moins tragique. Il avait écrit : « L’exil est un long suicide et il n’y a pas d’hirondelles en hiver. »
Cette phrase résume le dilemme existentiel des intellectuels algériens : choisir entre un silence déchirant ou une parole qui les exile définitivement. Contrairement à Haddad, Daoud et Sansal ont choisi d’écrire, mais à quel prix ?
Le lâcher des corbeaux : un suicide patriotique ?
Si l’hiver de l’exil était le dernier stade du renoncement pour Malek Haddad, Daoud et Sansal semblent avoir franchi une ultime étape : celle du « lâcher des corbeaux », une image forte pour illustrer leur déconstruction radicale de l’identité nationale. En exposant les contradictions et les non-dits de l’Algérie, ils sont perçus par beaucoup comme des traîtres plutôt que comme des penseurs critiques.
Peut-on les blâmer d’avoir voulu briser le silence ? Ou doit-on y voir une dérive où l’amour du pays se mue en une hostilité irréversible ? Le patriotisme n’est-il condamné qu’à survivre dans les illusions nationalistes, ou peut-il être repensé à travers un regard plus critique ?
La question demeure ouverte, mais une chose est certaine : les intellectuels algériens sont souvent condamnés à un exil sans retour, qu’il soit physique, linguistique ou moral. Pour certains, comme Haddad, cet exil se vit dans le silence. Pour d’autres, comme Daoud et Sansal, il prend la forme d’un affrontement inlassable avec une nation qui refuse de les reconnaître comme siens.