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L'Exil des Intellectuels Algériens: Un Suicide Patriotique

Feb 23

Temps de lecture : 3 min

L'Algérie, terre de rêves et de révolutions, a vu ses intellectuels, tels des oiseaux migrateurs, quitter leur patrie, contraints à un exil progressif, physique ou intérieur, les menant parfois jusqu'au suicide patriotique, tel que décrit par Malek Haddad : "L'exil est un long suicide et il n'y a pas d'hirondelles en hiver."


Les Premières Illusions : Un Printemps Éphémère

Au lendemain de l'indépendance, une nation en devenir, portée par la flamme révolutionnaire et les idéaux panafricains, panarabes et tiers-mondistes, offre aux intellectuels un espace d'expression et d'engagement. Des figures comme Frantz Fanon, intellectuel anticolonialiste, ou Kateb Yacine, écrivain engagé, incarnent cet espoir. Mais cette ère de complaisance est de courte durée.


La Chute dans l'Abîme : La Dictature s'Installe

Sous le règne de Ben Bella, puis de Boumédiène, la dictature populiste, sécuritaire et idéologique étouffe les voix dissidentes. Les intellectuels, pris au piège, oscillent entre espoir et désespoir, entre résistance et compromission. Certains, comme Mohammed Dib, choisissent l'exil, tandis que d'autres, comme Malek Haddad, restent, mais sont réduits au silence.


L'Éclaircie Trompeuse : Un Mirage de Liberté

Après la mort de Boumédiène, une lueur d'espoir apparaît. La chute du prix du pétrole et les événements d'Octobre 1988 ouvrent une brèche vers plus de vérité et de liberté. Des intellectuels comme Tahar Djaout ou Abdelkader Djemai émergent, portant une parole nouvelle. Mais cette embellie est éphémère.


Le Coup de Froid : L'Arrêt des Élections

L'arrêt brutal des élections de 1992 marque un tournant. Les intellectuels, attachés à la morale des urnes et soucieux d'éviter une guerre civile, s'opposent à cette décision. Mais leurs avertissements restent vains.


La Longue Nuit : Une Décennie Sanglante

La guerre civile contre les islamistes plonge le pays dans le chaos et la violence. Les intellectuels, pris entre deux feux, sont réduits au silence, contraints à l'exil ou à la clandestinité. Tahar Djaout est assassiné en 1993, symbole de la répression qui s'abat sur les intellectuels.


Le Retour du Refroidissement : L'Essoufflement Démocratique

Après une décennie de terreur, un semblant de normalité revient. Mais l'espoir d'une véritable démocratie s'amenuise, à mesure que le prix du pétrole remonte et que la mafia politico-militaire consolide son pouvoir. L'oxygène se raréfie pour la réflexion sincère, humaniste et optimiste des intellectuels.


Le Dernier Souffle : Le Hirak et son Interruption Brutale

Un éclair d'espoir jaillit avec le Hirak, ce soulèvement populaire massif qui ébranle le régime. Les intellectuels, un temps libérés de leur exil intérieur, retrouvent une voix. Mais la pandémie de Covid-19, telle une faucheuse cynique, met un terme à cette rémission.


L'Exil Ultime : Un Suicide Différé

La tyrannie de la mafia politico-militaire se renforce, la décomposition du pays s'accélère. Les intellectuels, désabusés, se sentent prisonniers d'un système corrompu. Certains choisissent l'exil définitif, extérieur ou intérieur, tandis que d'autres, à l'instar de Kamel Daoud et Boualem Sansal, sombrent dans un suicide patriotique, un renoncement à leur propre nation.


Conclusion : Une Tragédie Nationale

L'exil des intellectuels algériens est une tragédie qui se répète depuis des décennies, chaque génération perdant une part de sa substance intellectuelle. Mais le "suicide patriotique" prend deux formes distinctes. Il y a d'abord l'excommunication, le rejet de la nation, de sa culture, de son identité, comme un ultime cri de désespoir face à l'impasse politique et sociale. C'est le chemin emprunté par Kamel Daoud et Boualem Sansal, qui, par leurs œuvres et leurs prises de position, se sont exclus d'une certaine manière de la communauté nationale, devenant des figures critiques, voire dissidentes, aux yeux de certains.

Il y a ensuite l'euthanasie du sentiment patriotique, une forme d'adaptation, de survie dans un monde globalisé qui ne fait pas de quartier. Pour ces intellectuels-là, le patriotisme devient une relique du passé, un sentiment dépassé, voire dangereux, dans un monde où les frontières s'estompent et où les enjeux sont planétaires. Ils se tournent vers d'autres horizons, d'autres causes, parfois au risque de perdre leurs racines, leur identité.

Dans les deux cas, c'est une perte pour l'Algérie, privée de la pensée critique et engagée de ses intellectuels. Un pays privé de ses penseurs est un pays en voie de perdition.

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