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Dans la main du dictateur : la compromission

Apr 17

Temps de lecture : 3 min

La dictature n'est pas seulement une machine de répression. C’est aussi un laboratoire de compromission. Elle fabrique des conditions dans lesquelles la survie – morale, professionnelle, parfois même physique – dépend d’un choix insidieux : embrasser la main du pouvoir, ou disparaître. Dans cet espace fermé, on ne vit pas avec le régime, on vit par lui.


1. Le mécanisme de la compromission

Une dictature ne tient pas seulement grâce à la peur. Elle survit grâce à l'adhésion – parfois tacite, souvent résignée – d’une large partie de la population. Cette adhésion est souvent obtenue non par conviction, mais par compromission.Dès les premiers échelons, les systèmes autoritaires posent un dilemme moral :

"Souhaitez-vous exister dans ce système ? Alors montrez votre loyauté."

Compromission de survie

Pour le fonctionnaire, le professeur, le petit entrepreneur, la journaliste, il faut bien souvent composer avec les règles absurdes, les mensonges officiels, les attentes implicites. Refuser d’applaudir peut coûter une carrière. Émettre un doute peut signifier perdre un logement ou une protection sociale. C’est la compromission minimale : taire, détourner le regard, éviter les sujets qui fâchent.


Compromission d'opportunisme

Mais il y a un autre niveau : celui de ceux qui prospèrent. Ceux qui, non seulement acceptent les règles du jeu, mais les servent avec zèle. Ils deviennent relais de propagande, agents économiques du régime, idéologues officiels. Ils profitent des largesses du pouvoir, des marchés fermés, des postes verrouillés, des rentes extraites du monopole d’État.Leur compromission n’est plus passive. Elle est active, assumée, parfois revendiquée. Ils deviennent les piliers moraux et matériels de l’édifice.


2. Le cas Trump : la compromission par chantage

On pourrait croire que ce mécanisme n'existe que dans les dictatures formelles. Mais certains leaders populistes dans les démocraties en utilisent les ressorts.

Donald Trump, par exemple, applique à l'économie et à la politique une logique de soumission conditionnelle. Il ne gouverne pas au nom d’un contrat républicain, mais selon une logique mafieuse :

"Voici les tarifs douaniers. Voici les coupes budgétaires. Voici l’arrêt des subventions. Si vous voulez respirer… venez me parler."

Qu’il s’agisse de la Chine, du Mexique, de l’UE, ou même d’entreprises américaines, tous sont amenés à "embrasser la main" pour survivre. Dans les États qu’il contrôle, ce sont les gouverneurs dociles qui reçoivent les aides fédérales. À l’international, les pays qui acceptent les conditions de Washington peuvent négocier. Les autres sont asphyxiés.

C’est une compromission moderne : elle ne demande pas de brûler un livre ou d’arrêter un opposant. Elle demande de flatter, de céder, de s’aligner. Elle est plus douce, mais tout aussi corrosive pour la démocratie.


3. Voir du bon dans une dictature : l’ultime compromission morale

La compromission suprême est celle du regard. Lorsqu’on accepte – voire loue – les réussites économiques, les autoroutes, la stabilité, les progrès technologiques… sans voir que tout cela est construit sur un socle de sang, de silence et de torture.

“Mais Franco a remis l’Espagne sur pied.”“Pinochet a sauvé l’économie chilienne.”“Saddam maintenait l’ordre.”

Chaque fois qu’on admire l’efficacité d’une dictature sans parler des morts, des disparus, des exilés, on entre dans une compromission morale. C’est l’effacement des victimes au profit d’une version manageriale du pouvoir.

Cette logique est encore plus visible aujourd’hui avec Xi Jinping, Vladimir Poutine, Mohammed Ben Salmane ou Recep Tayyip Erdogan. Tous justifient leur mainmise par une vision stratégique, un rêve national, une stabilité régionale. Et leurs défenseurs – y compris dans des démocraties – ferment les yeux sur les journalistes emprisonnés, les minorités opprimées, les opposants assassinés.


4. La diaspora complice : l'attachement qui aveugle

Un cas particulier est celui des diasporas. Qu’elles soient iraniennes, algériennes, russes, turques ou syriennes, elles sont parfois traversées par une nostalgie patriotique qui les pousse à minimiser ou excuser la brutalité des régimes.

Certains membres, même installés dans des démocraties, partagent la propagande du régime, attaquent les dissidents, organisent des collectes pour "le pays" sans questionner qui en bénéficie vraiment.

D'autres, sans aller jusque-là, adoptent une compromission passive : ne pas critiquer, éviter les discussions, préférer l’image d’un pays fort à celle d’un peuple brisé, y passer ses vacances.

Or, lorsqu’on est à l’abri, loin de la censure et de la peur, continuer à se taire ou à légitimer, c’est entrer dans une compromission d’autant plus grave qu’elle est volontaire. Ce n’est plus la survie qui la motive. C’est l’oubli.


Conclusion : résister, c’est refuser la main tendue

La main du dictateur est pleine de promesses : sécurité, confort, identité, grandeur nationale. Mais la saisir, c’est renoncer à une part de sa liberté intérieure. Ceux qui refusent cette main, dans la clandestinité ou l’exil, paient souvent un prix terrible.Mais ils préservent quelque chose de plus grand : la dignité.

Tant que nous comprendrons la compromission comme un mécanisme actif, et non comme un simple choix individuel, nous pourrons mieux résister à sa tentation.

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