top of page

Biomécanique du Cyclisme

Aug 4

Temps de lecture : 4 min

Puissance, Endurance et Performance au Sommet

Le cyclisme professionnel, et particulièrement le Tour de France, représente l’un des sommets de la performance humaine. Pour comprendre comment des coureurs comme Tadej Pogačar, Lance Armstrong ou Chris Froome ont pu dominer cette épreuve, il faut plonger dans la biomécanique du cyclisme et analyser la puissance que le corps humain est capable de produire – ainsi que sa durée de maintien.


1. La puissance humaine à vélo : limites physiologiques

La puissance en cyclisme s’exprime en watts (W), et watts par kilo de masse corporelle (W/kg) pour évaluer la performance relative.


  • Puissance maximale instantanée : un sprinteur élite peut produire plus de 1 500 à 2 000 watts sur quelques secondes (5 à 15 secondes). Cela représente une sollicitation extrême des fibres musculaires rapides.

  • Seuil anaérobie / FTP (Functional Threshold Power) : c’est la puissance maximale qu’un athlète peut maintenir pendant environ 60 minutes. Chez les amateurs bien entraînés, ce seuil est de 3 à 4 W/kg. Chez les meilleurs grimpeurs du Tour, il peut atteindre 6 à 6,5 W/kg, voire plus dans des efforts de 20 à 40 minutes.

  • Puissance en montée (20 à 40 minutes) : c’est ici que se gagnent les grandes étapes de montagne du Tour. La meilleure performance documentée sur ce type d’effort est autour de 6,2 à 6,4 W/kg, ce qui est déjà proche des limites physiologiques humaines sans dopage.


2. Puissance estimée des vainqueurs du Tour de France

Voici un tableau comparatif des puissances développées par quelques grands champions :

Coureur

Poids (kg)

Puissance moyenne estimée sur 40 min

W/kg estimés

Époque

Tadej Pogačar

~66

~410 W

6,2 – 6,3

2020–2024

Chris Froome

~69

~420 W

6,0 – 6,2

2013–2017

Lance Armstrong

~72

~450 W

6,2 – 6,5*

1999–2005

⚠️ Les chiffres d’Armstrong sont à prendre avec précaution, car il a admis avoir utilisé des substances dopantes. Son W/kg pourrait avoir dépassé 6,5 voire 6,7 W/kg à son pic, ce qui dépasse ce qu’on considère comme physiologiquement soutenable sans dopage.


3. D’où viennent les différences ? Analyse biomécanique et physiologique

Facteurs clés de performance :


  • VO₂max (consommation maximale d’oxygène) : Pogačar et Froome dépassent les 85 ml/min/kg, ce qui est exceptionnel. Armstrong approchait aussi ces valeurs.

  • Efficacité biomécanique : c’est le rendement entre l’énergie chimique dépensée (ATP) et l’énergie mécanique produite. Chez les meilleurs, elle est de 22 à 25 %.

  • Poids corporel et aérodynamisme : Les grimpeurs légers comme Pogačar sont avantagés dans les cols. Froome, avec son style particulier, maximisait l’aérodynamisme même en montée.

  • Endurance mentale et récupération : Sur 21 étapes, maintenir un haut niveau jour après jour est aussi une question de gestion hormonale, nutritionnelle et psychologique.


4. Le débat du dopage et des "limites humaines"

Certaines performances, en particulier dans les années 1990 et 2000, ont soulevé de nombreux soupçons en raison de puissances jugées incompatibles avec la physiologie humaine. On considère généralement que maintenir >6,2 W/kg sur plus de 40 minutes sans aide pharmacologique est très difficile.

Aujourd'hui, avec la généralisation des capteurs de puissance, des analyses de sang régulières, et une surveillance accrue, les performances sont plus "crédibles", même si le doute persiste parfois.


Focus : Le cas particulier de Miguel Indurain

Miguel Indurain, quintuple vainqueur du Tour de France (1991–1995), est une anomalie biomécanique autant qu’un modèle d’efficacité. Contrairement aux grimpeurs légers comme Pogačar ou Froome, Indurain mesurait 1m88 pour environ 80 kg, ce qui est considérable pour un coureur de Grand Tour, surtout en montagne.


Capacités physiologiques exceptionnelles

Les tests effectués à l’époque sur Indurain révèlent des chiffres hors normes :

  • VO₂max : estimé à 88 à 92 ml/min/kg, un record mondial à son époque.

  • Capacité pulmonaire : plus de 7,5 litres (contre environ 5 à 6 L pour un adulte entraîné).

  • Fréquence cardiaque au repos : environ 28 bpm, ce qui est exceptionnellement bas.

  • Puissance absolue : plus de 500 watts sur certains chronos plats, grâce à sa morphologie et son aérodynamisme.


Un style de course basé sur le contre-la-montre

Contrairement à d’autres champions, Indurain ne gagnait pas le Tour en attaquant dans les cols. Il gérait en montagne et creusait des écarts décisifs dans les contre-la-montre, où il était quasi imbattable.

Sa stratégie consistait à :

  • Limiter la casse en haute montagne grâce à une gestion de puissance remarquable.

  • Dominer sur le plat avec une position aérodynamique parfaite et une puissance brute difficile à égaler.


Pourquoi un tel profil n'existe plus ?

Aujourd’hui, avec des parcours plus montagneux, plus explosifs, et une culture du cyclisme orientée vers l’attaque et les watts/kg, un profil comme celui d’Indurain serait désavantagé :

  • Son poids élevé pénaliserait dans les ascensions.

  • L’évolution des équipements, des capteurs et des stratégies favorise des coureurs plus légers et plus polyvalents.


Miguel Indurain représente une forme ancienne d'excellence biomécanique, fondée sur la puissance absolue, la régularité et l’économie d’effort. Son règne fut possible grâce à une physiologie exceptionnelle, une équipe parfaitement organisée, et une époque où les contre-la-montre pesaient davantage sur le classement général. Dans le cyclisme moderne, son profil serait plus adapté aux classiques ou contre-la-montre, mais probablement moins dominant sur un Tour de France aussi montagneux qu’aujourd’hui.


Conclusion

Le cyclisme d’élite repose sur une combinaison de génétique, entraînement, biomécanique et stratégie. Tadej Pogačar, Chris Froome et d'autres ont marqué leur époque en frôlant les limites naturelles de la puissance humaine. Si Armstrong les a dépassées artificiellement, les performances modernes tendent vers un équilibre plus sain — bien que les 6 W/kg en montagne restent un marqueur de la rareté du talent, de la discipline et de l’optimisation totale du corps humain.

bottom of page